Les frères Poinsot

Pierre Poinsot est né en 1907 en Meurthe-et-Moselle. Il est reçu au concours de la police en 1930. Il débute sa carrière dans la police générale du protectorat du Maroc et intègre la police nationale deux ans plus tard. Il est promu commissaire en 1936, muté à Bordeaux en 1938. Lorsque l’année suivante, la guerre éclate, il est toujours en poste dans la capitale girondine. En avril 1940, il est affecté au commissariat spécial qui lutte contre les communistes.

La lutte contre l’ennemi rouge constituera, tout au long de la guerre, une des priorités du régime de Vichy. Poinsot en fera son cheval de bataille. Son combat sera sans limite, d’une violence inouïe. En dépit de résultats impressionnants sur le terrain, l’insubordination dont il fait preuve vis-à-vis de sa hiérarchie et son dévouement quelque peu obsessionnel à l’occupant lui valent un blâme d’Henry Chavin, le directeur de la police. Chavin souhaite le muter à Évreux mais les Allemands de Bordeaux (en zone occupée), avec qui Poinsot travaille très étroitement, s’y opposent. Ils obtiendront gain de cause : leur protégé ne sera pas muté et ne fera l’objet d’aucune mesure disciplinaire. En juillet 1942, il prendra même la direction d’une des « sections de répression des affaires à origine politique » (renommées « sections des affaires politiques » en novembre 1942), créées par René Bousquet.

À Bordeaux, plus de cent agents agissent sous ses ordres, dont ses frères Henri et Jean, que Pierre avait fait rentrer dans la police en 1941. Henri est ambitieux, opportuniste, sournois et rusé, en plus d’être tout entier gagné à l’idéologie nazie. L’inspecteur Mathieu le décrira, en novembre 1945, comme un « fonctionnaire ultra-zélé doublé d’un politicien convaincu ». Jean n’a rien de ses frères : il est paresseux, peu futé et « inapte à conduire des enquêtes ». Il est surnommé « la cloche » par ses collègues. Mais grâce à l’influence de son frère, il ne sera pas renvoyé de la police. Mis à part Jean, les agents de Poinsot sont experts dans la mise en place de filatures, grâce, entre autres, à un réseau très étoffé d’informateurs. Leurs méthodes d’interrogatoire n’ont rien des méthodes classiques, elles reposent sur une pratique quasi systématique de la torture.

Après avoir totalement déstructuré la résistance dans le Sud-Ouest, Pierre Poinsot est nommé à Vichy au début de l’année 1944. Il devient sous-directeur des Renseignements généraux de la police. Poinsot est au sommet de son ignoble carrière, et un maître incontesté du système répressif du régime. Comme à Bordeaux, il a pour mission de mener une lutte acharnée contre les « ennemis » de la France. Il dispose désormais de « délégations régionales », créées, en avril 1944, au sein des Renseignements généraux, par Jean Degans, chef du deuxième bureau de la milice. Ces délégations ont pour spécificité d’être totalement indépendantes des autres services. À Vichy, la brigade de Poinsot est, en partie, reconstituée autour de ses plus fidèles collaborateurs et de ses frères. Les nouveaux agents sont recrutés dans les milieux collaborationniste et milicien. L’approche de la défaite allemande ne fait qu’exacerber la haine et la violence des hommes de Poinsot. Leurs soi-disant enquêtes sont plus expéditives les unes que les autres. Les perquisitions illégales, les pillages et les arrestations se multiplient à Vichy. Les résistants et les Juifs font les frais de cette folie meurtrière.

Dans la déposition qu’il fera après-guerre, Louis Chabord, 27 ans, coiffeur à Vichy, 11 rue du Portugal, arrêté par la brigade le 12 juillet 1944, décrit son interrogation à l’hôtel du Parc Lardy :

La première partie de l’interrogatoire s’est prolongée jusqu’à une heure du matin par POINSOT Henri, sauf pendant le court moment où il prit son repas. Après le premier quart d’heure, nous n’étions plus seuls et de nombreux fonctionnaires de la brigade assistaient l’inculpé à tour de rôle, tous plus brutaux les uns que les autres. (…) Inspecteurs et commissaires m’entouraient et POINSOT Henri menait la danse. Les coups de pied et de poing ainsi que les coups de cravache pleuvaient de tous les côtés. J’assure que pendant cinq heures, j’ai été frappé sans interruption sous les yeux de POINSOT qui ne se privait pas pour relayer ses collaborateurs. (…) N’obtenant aucun succès de cette façon il poussa sa brutalité jusqu’à me faire mettre les menottes aux pieds et les faire serrer à tel point que le sang en jaillit. Vers deux heures du matin, POINSOT Henri m’abandonna et me reprit vers dix heures, seul, afin de me faire faire une déposition écrite, au cours de laquelle il me frappa encore pendant trois heures (…).

Pierre Poinsot et la plupart des hommes de sa brigade s’enfuient en Allemagne en août 1944. Poinsot devient directeur général des Renseignements généraux, tandis que son ancien chef, le milicien Jean Degans, s’autoproclame directeur général de la Police française en Allemagne. Mais les rêves des uns et des autres seront de courte durée. Après quelques mois, la réalité les rattrape et les trois frères sont arrêtés. Alors que Pierre Poinsot est interné à Vichy, une foule s’empare de lui et tente de le pendre. Les autorités réussissent à éviter un lynchage public et le prisonnier est ramené dans sa cellule. Il sera jugé quelques jours plus tard, à Moulins.

Pierre Poinsot est condamné à mort par la Cour de Justice de l’Allier et fusillé au champ de tir de Riom, dans le Puy-de-Dôme, le 12 juillet 1945. Henri est condamné aux travaux forcés à perpétuité (commués en 20 ans de travaux forcés) et à la dégradation nationale à vie. Jean reçoit une peine de 10 ans de dégradation nationale.

Sources :

Archives départementales de l’Allier

– FRAD003_1521_W_54_Dossier_3194_17_POINSOT_PIERRE

– FRAD003_2028_W_5_Dossier_54527_Brigade_Poinsot

– FRAD003_612_W_23_Poinsot_11_juin_1945_mesures_sécurité

Archives départementales du Puy-de-Dôme 107 W 321 Brigade Poinsot (cours de justice)

Berlière, Jean-Marc. Polices des temps noirs. France 1939-1945. Perrin, 2018

Taliano-des Garets, Françoise. « Bordeaux sous l’occupation : collaboration, attentisme et résistance », Allemagne d’aujourd’hui, vol. 225, no. 3, 2018, pp. 166-172.