Category Archives: L’expérience des Juifs

L’hôtel Algeria

Dès 1940, le gouvernement français instaure une politique antisémite visant à réduire l’influence juive dans la société française (révision des naturalisations, abolition du décret Marchandeau, Premier statut des Juifs, abolition du décret Crémieu, etc.).

En mars 1941, à la demande des Allemands, les Français créent un Commissariat général aux questions juives (CGQJ). L’Algeria hôtel est désigné pour devenir son siège. Le 2 juin 1941, le CGQJ adopte un deuxième Statut des Juifs, qui précise la définition de « Juif », allonge la liste des interdictions professionnelles et prévoit un recensement en zone non occupée. Les fichiers nominatifs créés à partir des recensements du CGQJ permettront la mise en œuvre des rafles en 1942 et faciliteront les déportations des Juifs de France vers les camps nazis. L’aryanisation économique est un autre volet de l’activité du Commissariat.

Jusqu’en mai 1942, c’est Xavier Vallat qui dirige le CGQJ. M. Maingonat, propriétaire de l’Algeria Hôtel, entretient, avec lui, une relation très amicale. Maingonat se souvient d’un homme « extrêmement gentil », toujours prêt à aider : « Si l’on avait besoin de quoique ce soit, on allait le voir. […] Il n’hésitait pas une seconde, peu importe ce que vous lui demandiez »*.

Le témoignage de M. Maingonat ne doit pas être considéré comme représentatif de l’attitude des hôteliers vis à vis des membres du gouvernement qui résidaient chez eux. Néanmoins, il montre bien à quel point les interactions quotidiennes entre la population et le gouvernement, d’une part, et la gentillesse de certains ministres envers les Vichyssois, d’autre part, contribuèrent à humaniser le gouvernement aux yeux d’une partie de la population locale.

De mai 1942 à février 1944, le commissariat sera dirigé par Louis Darquier de Pellepoix. En février 1944, la direction sera confiée à Charles Mercier du Paty de Clam. En mai, elle passera aux mains de Joseph Antignac

* A. Nossiter, The Algeria Hotel, p.189.

La maison et l’atelier de Roger Kespy

Roger Kespy est né dans une famille juive à Alger en 1908. Il s’installe à Paris au milieu des années 1920, puis à Vichy en 1935. Constructeur de postes radio, il possède un atelier au 25 rue Durand, où il vit avec sa famille.

Kespy s’engage en Résistance dès 1940. Il fabrique des radios portatives et récupère des armes abandonnées par l’armée française, qu’il cache en lieu sûr, à Vichy et à Cusset. En 1942, après avoir rejoint l’Armée secrète, il organise et dirige un maquis dans les Bois Noirs, à une centaine de kilomètres de Vichy. En 1943, son maquis est intégré aux Mouvements Unis de Résistance (MUR) et Kespy est nommé responsable d’un groupe d’action locale.

Il est arrêté par la milice le 24 janvier 1944 à Lapalisse dans l’Allier et est livré aux Allemands. Après 70 jours aux mains de la Gestapo de Vichy, il est transféré à la Mal-Coiffée, la prison militaire allemande de Moulins. À la fois Juif et résistant, les gardes ne lui épargnent aucune souffrance. Après quelques jours, il n’est plus qu’« une loque humaine ». Yvonne Henri Monceau, internée dans la même prison, explique qu’il était « si horriblement maltraité que les os de ses jambes [étaient] à nu ». À chaque évanouissement, il était sorti de la salle et laissé dans le vestibule. Après avoir questionné un autre prisonnier, les Allemands « [revenaient] au malheureux Kespy qui, déshabillé, le torse nu, à califourchon sur une chaise, traité de ‘sale Juif’, [était] refrappé avec tout ce qui leur [tombait] sous la main jusqu’à ce qu’il perde à nouveau connaissance ».*

Roger Kespy sera finalement exécuté le 25 juillet 1944, dans la forêt de Marcenat.

Une plaque commémorative fut apposée sur sa maison / atelier un an après sa mort. En 1994, un square fut renommé en son honneur (Place Jean Epinat).

* Yvonne Henri Monceau, Une prison militaire allemande à Moulins. La Mal Coiffée, p. 53.

L’école Carnot

Le 2 juin 1941, le Commissariat général aux questions juives (installé à l’Algeria hôtel) adopte le deuxième Statut des Juifs*. Celui-ci précise la définition de « Juif », allonge la liste des interdictions professionnelles et prévoit un recensement des Juifs résidant dans la zone non occupée. À Vichy, c’est à l’école Carnot que le recensement a lieu. 2 050 Juifs se font recenser. Xavier Vallat, à la tête du Commissariat, estime ce chiffre trop élevé. Les Juifs « indésirables » sont alors pourchassés et expulsés de la ville. Les méthodes employées par le gouvernement sont efficaces, puisqu’en 1943, il n’y a plus que 650 Juifs à Vichy (parmi lesquels 595 sont français). À la fin de la guerre, ils ne sont plus qu’une poignée.

Au moment de recensement de 1941, Fernand Lafaye est instituteur à l’école Carnot. En désaccord avec la politique menée par le gouvernement français, il demande une retraite anticipée de l’éducation nationale. Après l’avoir obtenue, il rejoint la Résistance. Dans un premier temps, Lafaye aide au transport d’armes et établit des contacts entre plusieurs groupes de résistants. À la fin de l’année 1943, il rejoint sa fille Anne-Marie et son gendre Max Menut dans le maquis d’Auvergne. À 57 ans, il est l’un des plus âgés du maquis. Après s’être occupé des émissions radio, il intègre, en mai 1944, le service de santé du Mont-Mouchet. Peu après, il tombe dans une embuscade et meurt.

En 1944, l’école Carnot est renommée « école Fernand Lafaye ». En 1972, après des travaux de rénovation l’école Fernand Lafaye (ancienne école de garçons) et l’école Sévigné (ancienne école de filles) fusionnent et deviennent l’école Sévigné-Lafaye.

* Le premier Statut des Juifs date du 3 octobre 1940 (voir l’arrêt Algeria hôtel pour plus d’informations)

La synagogue

Au printemps 1940, suite à l’avancée des troupes allemandes en Europe de l’Ouest et en France plus spécifiquement, plusieurs centaines de milliers d’hommes et de femmes, parmi lesquels de nombreux Juifs, se retrouvent sur les routes, en direction du Sud. Un certain nombre d’entre eux s’arrêtent à Vichy. L’établissement provisoire du Consistoire juif du Bas-Rhin contribue à faire de la ville un centre particulièrement attractif pour les réfugiés juifs pratiquants du nord-est de la France. Plus de 220 familles sont alors affiliées à la synagogue de Vichy.

Le bouleversement constitutionnel provoqué par le vote du 10 juillet 1940 n’inquiète pas les Juifs outre mesure. Au contraire, beaucoup se réjouissent de voir le maréchal Pétain prendre les rênes du pouvoir. À Vichy, la désillusion est rapide. Plus de 3 000 Juifs étrangers sont expulsés de la ville entre août et octobre 1940. Quelques mois plus tard, les Juifs français sont également pourchassés et expulsés. Selon Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, leur « seule présence » dans la nouvelle capitale est « fâcheuse en soi »*. Les descentes de police dans les hôtels, dans les appartements et les chambres sont de plus en plus fréquentes. Le nombre de Juifs à Vichy diminue de 70 % entre 1941 et 1943. Du jour au lendemain, ces Juifs perdent leur foyer, leur emploi et leurs réseaux de soutien (d’amis et de voisins). Isolés et vulnérables, ils deviennent des proies faciles pour la Milice et la Gestapo.

Nulle part en France la réponse populaire aux mesures antisémites prises par le gouvernement ne fut uniforme, ni dans le temps, ni dans l’espace. Au début de la guerre, plusieurs incidents antisémites furent rapportés à Vichy. Cependant, à mesure que l’étau se resserrait sur les Juifs, un élan de solidarité se développa au niveau local. Plusieurs Juifs purent ainsi être sauvés grâce à l’aide de la population vichyssoise.

* Lettre de Xavier Vallat à Henry Chavin (20 mai 1941). Citée dans M. Marrus et R. Paxton, Vichy et les Juifs, p. 157.