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L’église Saint-Louis

Lorsqu’en 1861, Napoléon III vient en cure à Vichy pour la première fois, la ville est dotée d’une seule église : l’église Saint-Blaise, où officie le curé Dupeyrat. Désireux de prêcher dans un lieu plus majestueux, le curé demande à l’empereur de faire construire une église plus grande et mieux située. Napoléon accepte sa requête, et en 1865, l’église Saint-Louis ouvre ses portes.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’église Saint-Louis occupe une place importante pour le gouvernement. De grandes messes y sont organisées, comme à l’occasion de la mort du Général Huntziger, ministre secrétaire d’État à la guerre, en novembre 1941, en présence du Maréchal Pétain.

Les évènements officiels ne sont pas les seuls motifs amenant Pétain à fréquenter l’église Saint-Louis. Il n’est, en effet, pas rare de le croiser lors des offices religieux du dimanche matin. L’Église constituant un élément clé du redressement moral, souhaité par le gouvernement, il se doit de donner l’exemple.

Si la communauté catholique est dans son ensemble favorable aux changements prônés par le nouveau régime, plusieurs de ses membres, parmi lesquels le Révérend Père Dillard, s’opposent à la radicalisation des mesures.

RP Dillard qui officie régulièrement à l’église Saint-Louis, prononce, à partir de 1942, des prêches dans lesquels il critique, de façon subtile et détournée, les mesures antisémites et la politique économique du gouvernement. Lorsqu’en février 1943, le Service du Travail Obligatoire est instauré, il décide de partir en Allemagne pour y organiser une aumônerie clandestine. Il quitte Vichy déguisé en ouvrier. Mais après plusieurs mois en Allemagne, il est dénoncé et arrêté par la Gestapo. Il est déporté à Dachau, où il meurt en janvier 1945.

* STO : En février 1943 une loi exige que les jeunes gens nés entre 1920 et 1922 effectue un « service de travail obligatoire » en Allemagne.

La maison et l’atelier de Roger Kespy

Roger Kespy est né dans une famille juive à Alger en 1908. Il s’installe à Paris au milieu des années 1920, puis à Vichy en 1935. Constructeur de postes radio, il possède un atelier au 25 rue Durand, où il vit avec sa famille.

Kespy s’engage en Résistance dès 1940. Il fabrique des radios portatives et récupère des armes abandonnées par l’armée française, qu’il cache en lieu sûr, à Vichy et à Cusset. En 1942, après avoir rejoint l’Armée secrète, il organise et dirige un maquis dans les Bois Noirs, à une centaine de kilomètres de Vichy. En 1943, son maquis est intégré aux Mouvements Unis de Résistance (MUR) et Kespy est nommé responsable d’un groupe d’action locale.

Il est arrêté par la milice le 24 janvier 1944 à Lapalisse dans l’Allier et est livré aux Allemands. Après 70 jours aux mains de la Gestapo de Vichy, il est transféré à la Mal-Coiffée, la prison militaire allemande de Moulins. À la fois Juif et résistant, les gardes ne lui épargnent aucune souffrance. Après quelques jours, il n’est plus qu’« une loque humaine ». Yvonne Henri Monceau, internée dans la même prison, explique qu’il était « si horriblement maltraité que les os de ses jambes [étaient] à nu ». À chaque évanouissement, il était sorti de la salle et laissé dans le vestibule. Après avoir questionné un autre prisonnier, les Allemands « [revenaient] au malheureux Kespy qui, déshabillé, le torse nu, à califourchon sur une chaise, traité de ‘sale Juif’, [était] refrappé avec tout ce qui leur [tombait] sous la main jusqu’à ce qu’il perde à nouveau connaissance ».*

Roger Kespy sera finalement exécuté le 25 juillet 1944, dans la forêt de Marcenat.

Une plaque commémorative fut apposée sur sa maison / atelier un an après sa mort. En 1994, un square fut renommé en son honneur (Place Jean Epinat).

* Yvonne Henri Monceau, Une prison militaire allemande à Moulins. La Mal Coiffée, p. 53.

L’appartement de René Chabrier et Yvette Poucy

Le réseau Marco-Polo fait partie des 266 réseaux de renseignement ayant opéré en France durant la Seconde Guerre mondiale. Il est créé en novembre 1942 par le commandant Pierre Sonneville. Subordonné au Bureau Central de Renseignement et d’Action de la France libre, le réseau évolue rapidement. À Vichy, ses membres peuvent compter sur l’aide sans faille de plusieurs individus, parmi lesquels le commissaire de police Marc Juge, Mme Chabrol, Henri et Yvonne Moreau, ainsi que René Chabrier et sa compagne Yvette Poucy.

René Chabrier et Yvette Poucy vivent au 44 Avenue Paul Doumer. Une de leurs missions consiste à identifier les fonctionnaires ou employés des ministères et administrations publiques les plus susceptibles de nuire à la résistance. Les renseignements recueillis par le couple et par les autres agents de Marco Polo sont ensuite regroupés, synthétisés puis envoyés à Lyon ou à Mâcon avant d’être transmis aux autorités supérieures de la Résistance.

Le 18 janvier 1944, le commissaire Marc Juge, un acteur clé du réseau (et amant d’Yvette Poucy), est arrêté. Ses amis et collaborateurs ne tiendront qu’un mois supplémentaire. Le 23 février, Henry Moreau, René Chabrier et Yvette Poucy sont arrêtés à leur tour par des agents français de la Gestapo.

Le couple est rapidement séparé. Alors qu’Yvette Poucy est transférée à la prison de Moulins, puis envoyée au Fort de Romainville et déportée en Allemagne, René Chabrier est interrogé pendant plusieurs jours par la Sipo-SD de Vichy, avant d’être transféré à Moulins puis à Clermont-Ferrand, où il est déféré devant un tribunal militaire allemand en compagnie de Marc Juge et Henri Moreau. Le tribunal les condamne à mort « pour espionnage au profit d’une puissance ennemie ». Ils sont fusillés par la Gestapo le 25 mars 1944.

Yvette Poucy, internée à Ravensbruck, n’apprendra leur mort qu’après sa libération en avril 1945.

L’école Carnot

Le 2 juin 1941, le Commissariat général aux questions juives (installé à l’Algeria hôtel) adopte le deuxième Statut des Juifs*. Celui-ci précise la définition de « Juif », allonge la liste des interdictions professionnelles et prévoit un recensement des Juifs résidant dans la zone non occupée. À Vichy, c’est à l’école Carnot que le recensement a lieu. 2 050 Juifs se font recenser. Xavier Vallat, à la tête du Commissariat, estime ce chiffre trop élevé. Les Juifs « indésirables » sont alors pourchassés et expulsés de la ville. Les méthodes employées par le gouvernement sont efficaces, puisqu’en 1943, il n’y a plus que 650 Juifs à Vichy (parmi lesquels 595 sont français). À la fin de la guerre, ils ne sont plus qu’une poignée.

Au moment de recensement de 1941, Fernand Lafaye est instituteur à l’école Carnot. En désaccord avec la politique menée par le gouvernement français, il demande une retraite anticipée de l’éducation nationale. Après l’avoir obtenue, il rejoint la Résistance. Dans un premier temps, Lafaye aide au transport d’armes et établit des contacts entre plusieurs groupes de résistants. À la fin de l’année 1943, il rejoint sa fille Anne-Marie et son gendre Max Menut dans le maquis d’Auvergne. À 57 ans, il est l’un des plus âgés du maquis. Après s’être occupé des émissions radio, il intègre, en mai 1944, le service de santé du Mont-Mouchet. Peu après, il tombe dans une embuscade et meurt.

En 1944, l’école Carnot est renommée « école Fernand Lafaye ». En 1972, après des travaux de rénovation l’école Fernand Lafaye (ancienne école de garçons) et l’école Sévigné (ancienne école de filles) fusionnent et deviennent l’école Sévigné-Lafaye.

* Le premier Statut des Juifs date du 3 octobre 1940 (voir l’arrêt Algeria hôtel pour plus d’informations)

La résidence d’Hélène et Alphonse Juge

Rencontre avec Fred Scamaroni

Lorsque la France signe l’armistice avec l’Allemagne en juin 1940, Fred Scamaroni, ancien chef de cabinet du préfet du Doubs, décide de poursuivre le combat. Suite à l’appel du général de Gaulle le 18 juin, il se rend à Londres et s’engage dans les Forces françaises libres.

Il est immédiatement envoyé en mission à Dakar. Mais à peine est-il arrivé qu’il est arrêté. Il est interné dans plusieurs prisons locales avant d’être transféré à la prison militaire d’Alger. Il est finalement libéré à la fin du mois de décembre 1940. Il se rend alors à Vichy, où il trouve un emploi de commis au ministère du Ravitaillement. En parallèle, il fonde le réseau de renseignement « Copernic ».

À Vichy, il se lie d’amitié avec Hélène et Alphonse Juge, qui lui offrent le gîte et le couvert. Alphonse Juge, qui est directeur du personnel au ministère de l’Information, lui fournit de précieux renseignements. Grâce à l’aide du couple Juge, Scamaroni organise, chez eux, une rencontre de la plus haute importance, avec les délégués des mouvements de résistance « Combat » et « Liberté ». Pour Scamaroni, qui tente de structurer la Résistance en zone libre, ces prises de contact sont cruciales.

Scamaroni est rappelé à Londres en décembre 1941. Un an plus tard, il est en mission en Corse. En mars 1943, il est arrêté par les services du contre-espionnage italien. Effroyablement torturé, il se suicide afin de ne rien révéler. Il se tranche la gorge avec un fil de fer et écrit avec son sang sur les murs de sa cellule : « Vive la France, vive de Gaulle ». Il meurt peu après.

Le pavillon Sévigné

En 1842, cette grande bâtisse, qui avait jusqu’alors servi de résidence privée à de riches propriétaires, est transformée en hôtel. Afin d’attirer une clientèle haut de gamme, la propriétaire prétend que c’est ici que résidait Madame de Sévigné, lors de ses séjours à Vichy, en 1676 et 1677. L’information n’est pas vérifiée, mais elle est vendeuse… Lorsqu’au début du XXe siècle le Pavillon devient un établissement de grande classe, il est ainsi tout naturellement renommé Hôtel Sévigné.

Pendant la Première Guerre mondiale, le pavillon est utilisé comme hôpital temporaire.

Il est de nouveau réquisitionné en 1940. Au début du mois de juillet, c’est le président de la République, Albert Lebrun, qui l’occupe. Il est ensuite mis à la disposition privée du maréchal Pétain. Mais celui-ci n’y résidera qu’en de rares occasions, lui préférant l’hôtel du Parc, moins excentré. Le pavillon Sévigné n’en reste pas moins régulièrement utilisé par le Chef de l’État, qui y réunit, à plusieurs reprises, le Conseil des ministres. Des réceptions officielles y sont également organisées. Le 17 décembre 1940, par exemple, Pétain choisit le pavillon Sévigné, plutôt que l’hôtel du Parc, pour recevoir Otto Abetz, l’ambassadeur allemand.

En dépit de la réquisition de leur pavillon, les propriétaires, Élisabeth François et son frère, ont été autorisés à garder quelques pièces pour leur usage personnel. Alors que la guerre s’intensifie, ils offrent aux Éclaireurs de France, dont ils font partie, d’utiliser ces pièces pour y établir provisoirement leur siège. Jusqu’à la fin de la guerre, et malgré la présence régulière de Pétain, les éclaireurs réfugiés à Vichy agissent en faveur des Juifs et des déserteurs du STO, qu’ils aident à fuir ou à se cacher.

En 2010, l’Institut de Yad Vashem décerna à Élisabeth François et à son mari, Pierre François, le titre de « Juste parmi les Nations ».